L’ouvrage traînait sur la table de chevet depuis quelques années, les pages jaunis, ouvertes, saccagées par l’attente indicible, Dracula chuchotait sa légende de bout des lèvres de papier sans jamais que je me sente prête à le découvrir, une page, deux pages, cinquante page, âgée de quinze ans je l’ai délaissé pour le reprendre aujourd’hui. Vingt-quatre ans à présent, j’ai pu lire jusqu’à la lie l’histoire enchantée, le mythe de ce vampire créateur de frisson pour le public, une histoire sibylline, une porte ouvert au fantastique, à la peur, à l’angoisse, aux non-dits, à l’imagination suggestive ; loin d’être cru, au contraire, Bram Stoker ose une plume délicate, faussée par moment, lors de grandes tirades effectuées par le grand Van Helsing, une narration dans l’étrangeté surnaturelle permettant une immersion dans l’ambiance gothique d’une époque oubliée. A l’image de Jane Eyre avec ses architectures, sa brume opaque, ses arabesques romantiques, Dracula nous livre une histoire auréolée d’aventure, d’une quête contre le bien et le mal… malheureusement assez manichéenne.
Dracula résonne dans
les oreilles du monde, chaque personne connait ce mythe vampirique, cette base
d’histoire offrant sur un plateau d’argent les nombreuses fleurs qui
bourgeonneront siècle après siècle ; Dracula c’est une épopée, il faut se
l’avouer, une aventure de cinq guerriers pourchassant le mâle indu, honni,
déchu, démoniaque, Dracula. La race ténébreuse des suceurs de sang nait de ce
roman gothique, écrit par un homme de lettre, de science, un chercheur
invétéré. Bram Stoker avait l’habitude d’errer dans les longs couloirs de la
bibliothèque, piochant ci et là des pavés de documentaires pour présenter aux
lecteurs un sentiment saisissant de réalisme. Ainsi l’écrivain aurait fait le tour
du monde, la Bulgarie, la Transylvanie en ne quittant jamais sa chambre ou son
pays. Fascinante histoire devenant grande, les éléments du vampire repris dans
les séries, les films, récemment d’ailleurs on a pu voir Dracula Untold ou
encore True Blood ; vampires craignant le soleil, hypnotiques, créatures
silencieuses hantant les nuits de débauches et de soupirs. Encore mieux que les
nombreuses interprétations, Anna Rice remercie Bram Stoker en écrivant sa
fresque vampirique, augmentant la puissance de ces légendes immortelles, Lestat
à l’image de Dracula apparait comme un être mythologique à un publique affamé,
fasciné. Oublie d’ailleurs le film de Coppola car tu seras déçu du voyage si tu
superposes les images du film au livre. Par contre les deux se complètent
énormément, quand le roman se concentre sur les cinq chevaliers aux mœurs
d’ange, le film se focalise sur l’histoire d’amour inexistante dans le livre.
Mina obtient un rôle plus puissant grâce à la réalisation de Coppola que dans
les doigts de Stoker.
Parlons-en de ce côté
ô combien désuet, énervant, chagrin ; ce côté misogyne et paternaliste qui
m’aura contrarié pendant presque tout ma lecture ! Le contexte se situant
à l’époque victorienne, l’on sait que les femmes à cette époque-là se devaient de
ressembler aux anges plus qu’à un être humain doué de sensibilité, de
fragilité, de défauts. Quand j’ai constaté ce vieux ton masculin réduisant la
féminité à un sac noué de qualité j’ai eu du mal à terminer, à passer outre.
Féministe ayant à cœur le sort des femmes, il m’en faut peu pour attiser ma
colère, ainsi j’écris ce paragraphe avec le regret que cette œuvre qui débutait
si bien ait pris de l’âge. Je n’ai eu de cesse (comme si le discours
paternaliste ne suffisait pas) de comparer la pauvre Mina à Jane Eyre, mon cerveau ayant cru qu’un
lien se tissait entre ces deux protagonistes légendaires. Lorsque Jane Eyre est
indépendante, Mina se réduit à être la femme de… comme si elle ne pouvait vivre
sans son mari ; lorsque Jane Eyre quitte Mr Rochester par principe et
valeurs morales, Mina ne sait se défendre face à la présence néfaste de
Dracula. Deux femmes dans deux œuvres qui auront apporté à l’histoire de la
littérature mais toutes deux antinomiques. Mina possède le rôle symbolique
réunissant les cinq hommes pour combattre, le rôle de la valeureuse pourtant
fragile que les hommes se doivent de protéger, de garder en sûreté ; plus
qu’une femme, elle est devenue objet sacrée, emprisonnée dans une société patriarcale.
A cet élément sexiste s’ajoute la nuance marbrée du manichéisme, cette manie de
placer les bons d’un côté et les méchants de l’autre soustrayant la force de
Dracula perçu tel un titan sans psychologie, là pour séduire, boire, débaucher,
tuer, un parfait psychopathe inutile, là pour effrayer. Grâce et à cause de
nombreuses références venues après la base, c’est s’enlever la terreur qu’on pu
ressentir les lecteurs du siècle dernier, on sait de quoi il retourne, qui n’a
jamais entendu parler de Dracula ? Les pages dans mes mains maladives de
découvertes, au CDI du collège où je fus stagiaire, j’avais cette saveur amère
au coin des lippes quand j’ai constaté que Dracula n’était pas ce vampire
intransigeant, doté de côtés humains… qu’à cela ne tienne, j’ai créé mon
Dracula, commençant un énième roman.
Je ne nierai pas,
cependant, que Dracula, en plus d’installer des notions de fantastiques, de
terreur et de d’émotions effroi semble un chef d’œuvre d’idée modernes, avant
gardistes. L’écrivain instaure des notions scientifiques et psychanalystes
totalement novatrices pour l’époque. C’est un roman à faire lire aux élèves
pour qu’ils prennent conscience du terme et de la définition du mot fantastique
et non pas fantasy que l’on retrouve à présent. Dans Dracula, l’ambiance se
teinte d’incarnat, une lune rougeâtre, sanglante, un fou criant contre les
barreaux de sa cage, emprisonné dans un asile où les premiers psychiatres les
traitaient en cobaye, où les hommes tâtaient l’esprit humain, ses méandres, sa
folie, son obscurité. Chaque phrase, chaque description, chaque paragraphe se
peint en couleur vespérale, en mêlée de chair, en sensualité malsaine, il y a
un sentiment qui pénètre et ne quitte pas le lecteur jusqu’à la dernière
goutte, le dernier mot, l’apothéose. J’ai appris à aimer un nouveau personnage
que je place dans mon top 3, Dracula est pour moi une page grise que je
noircirai avec plaisir.
14 commentaires
Quel avis ! Ton style d'écriture est happant, très beau :) Mais concernant Dracula, je ne pense pas le lire tout de suite, peut-être plus tard...
RépondreSupprimerOh merci beaucoup ! Ca me touche énormément et je suis toujours étonnée de recevoir ce compliment ♥ Prend ton temps pour Dracula, faut vraiment être prêt à le lire surtout qu'il est assez compliqué (dans le sens où j'en avais marre des discours de Van Helsing)
SupprimerJe suis prévenue pour le côté sexiste du bouquin alors ;) (ça m'aurait aussi fait grincer des dents, je crois)
RépondreSupprimerUne oeuvre à lire un jour de toute façon.
J'étais loin de m'imaginer ce discours paternaliste mais j'avais quelques images du film en tête et franchement ça n'a rien à voir, par contre ils se complètent très bien. Oui on pourra en discuter comme ça !
SupprimerJe suis tellement TELLEMENT d'accord avec ta critique sur le côté sexiste du roman!
RépondreSupprimerMon Dieu ce que cela m'avait énervé. J'en ai longuement parlé dans ma critique. Evidemment, il date, c'était d'époque, mais la manière dont ils ont envoyé promener la pauvre Mina histoire qu'elle "ne nous fasse pas une crise de nefs ralalala c'est pas solide solide quand même ces petites bonnes femmes, laissons la dans l'ignorance, ça vaut mieux" j'étais vraiment furieuse.
Désolée, je m'emporte un peu avec ce roman^^ Bien évidemment, c'est un classique, je suis contente de l'avoir lu, mais je ne le relirais pas, parce que je n'ai pas aimé cette lecture. J'aurais aussi aimé en savoir plus sur Dracula (qui comme tu dis est réduit au méchant) plutôt que sur nos beaux et virils héros.
On est d'accord ! c'est exactement la scène qui m'a le plus saoulé et alors la réaction de Mina... J'ai gueulé quand j'en ai parlé à une amie, tellement qu'elle n'osait rien dire la pauvre xD Et c'est là que je me suis dis que Jane Eyre était vraiment l'héroïne victorienne par excellence par contre, ainsi que Catherine des Hauts de Hurlevent.
SupprimerJe suis comme toi, je pense que je ne le relirai pas et que je préfère largement les Chroniques des vampires. En réalité je pensais que Dracula n'était pas qu'une quête contre le bien et le mal mais qu'il était plus développé que ça et du coup je suis assez déçue de cette découverte. Même si elle était nécessaire.
Je l'avais lu étant plus jeune, vers 13 ou 14 ans je crois, et j'en garde un bon souvenir (quoique flou si j'y réfléchis deux secondes). Il faut dire que j'étais alors moins sensible au sexisme et au paternalisme, qui risqueraient fort de me faire grincer des dents aujourd'hui. Ce n'est peut-être donc pas un livre à relire, autant rester sur mon souvenir positif.
RépondreSupprimerTu as totalement raison ! Parce que ce n'est pas vraiment un bon souvenir pour moi, disons que le mythe a dépassé la fiction sur ce coup là...
SupprimerJe l'ai aussi lu autour de 13/14 ans et j'avais adoré, mais à l'époque j'étais loin d'être aussi sensibilisée au féminisme qu'aujourd'hui donc je me demande vraiment ce que donnerais une relecture...
SupprimerTu devrais le relire, pour qu'on puisse gueuler dessus ensemble à la terrasse d'un café ! Je compte sur toi c'est important !
SupprimerJe voudrais te remercier Vagabonde, pour ta plume et ton souci esthète. L'été passé, j'ai commencé le blogging. J'écrivais des longs textes mi-critiques lit, mi-journaux intimes. J'ai arrêté cet hiver, essouflée à l'idée que plus personne ne prend le temps de lire au-delà de 140 caractères. Ton blog est un de ceux qui m'a convaincue de reprendre à mon propre rythme. Même quand le titre, comme Dracula, ne m'intéresse pas, tes essaies sont toujours percutants. Vraiment, merci.
RépondreSupprimerComme je te l'ai dis, de lire ton commentaire me ravit tu n'imagines même pas comment. C'est par les gens comme toi, qui font des commentaires super gentils que je trouve le courage de continuer, quand ça ne va pas de relire, de sourire et poursuivre, alors merci. Tu dois continuer, la sphère littéraire à besoin de plus de ces personnes qui lisent des classiques, de la littérature adulte car elle est tout autant diversifiée que la littérature jeunesse. Non, c'est moi qui devrais te remercier ♥
SupprimerMais c'est que tu m'intrigues vraiment ! Ha la misogynie de l'époque... Malheureusement on ne peut plus trop agir dessus. Les choses ont évolué et c'est tant mieux.
RépondreSupprimerVoyons cela comme le témoignage d'une époque.
J'ai bien envie de rencontrer cette Mina moi aussi. Merci pour ta chronique !
Tu as raison, je me suis dis ça aussi et j'ai pu continuer, mais alors quand j'y repense j'en ris de cette fin et de ces idées qui ont bien bien vieillies tout de même. Comme dans la dernière scène de Psychose avec le cadavre qui saute sur la caméra, je me souviens que tout le monde avait rit dans l'amphi.
SupprimerSi tu le lis j'ai hâte de lire ta chronique !