L'enfant qui est en soi fuit comme crève un pneu sans chambre : lentement. un jour, on se regarde dans un miroir, et c'est un adulte qui vous renvoie votre regard. on peut continuer à porter des blue-jeans, à écouter Bruce Sprinsteen, on peut se teindre les cheveux, mais dans le miroir, c'est toujours un adulte qui vous regarde. Peut-être que tout se passe pendant le sommeil, comme la visite de la petite souris, la fées des dents de lait.
Il rôde, millénaire, dans cette ville de Derry, dans le Main où des horreurs étranges s’entrechoquent, frappent de leur main gelée à plusieurs époques. Il se nomme ça, ce démon, cette créature qui hante les rues, en clown ou en sangsues carnivores il se vêt de l’apparence des peurs les plus obscènes, comme le monstre que craignent les enfants, il les mange. Il était une fois un livre bouleversant de réalisme, d’horreur, de dynamisme, le malsain gourmand se permet de se fabriquer un lit sur plus de mille pages. Cet ouvrage était posé sur ma PAL depuis quelques années, sept ans d’attente pour que je daigne l’ouvrir, mais la patience fut récompensée, ce fut le bon moment, avant, pareillement que les sept chérubins de Derry je ne pus y jeter mes yeux, d’angoisse, d’effroi. Son succès le dépasse, la figure prend des allures de mythes, on frissonne quand on pense à Grippe sous le clown, maléfique est son prénom, démoniaque est sa nature. Stephen King entretient cette obsession sur le combat entre le bien et le mal et, à chaque fois, se surpasse pour nous offrir en présent des histoires défiant le bonheur et la joie.
On s’y sent chez soi, entourée de repères factices que King fabrique de ses phalanges sadiques ; Derry devient notre maison, spectateur posé dans la terreur, assistant aux comportements bizarres des adultes, à la lucidité des enfants. Derry c’est une ville où se regroupe les pires ainsi que les meilleurs, où l’humain semble sublimé par ses mauvais côtés, cette part d’obscurité que l’on possède, que l’on musèle. On habite, on connait ces ruelles, cette bibliothèque, ces friches, ce château d’eau ; autant d’élément qui façonnent un mythe, un paysage, un décor. Derry n’est pas une ville, c’est un personnage maternel qui abrite en son sein le pire comme le meilleur, le bien comme le mal. Elle ne fait pas de différence, elle berce les ténèbres comme la lumière, Derry ne juge pas, elle protège, attire, c’est malsain quand même l’attraction qu’elle soumet aux siens. Alors les longueurs qui s’écroulent, qui narguent, qui s’enfilent sur des pages et des pages n’en paraissent pas, car l’action ne se fait pas rare, le mouvement est omniprésent, le rythme s’impose par des pauses et des intensités savamment maitrisées. L’harmonie se meut, chef d’orchestre tissant la toile jusqu’à l’apothéose finale. L’expérience magique comblera un lecteur ivre de sensations fortes, au bout de quelques trois cents pages déjà nous sommes emportés pour un voyage au-delà des mots, au-delà de la réflexion simpliste. Ainsi beaucoup aime étiqueter les romans dans des classes, des genres, ici l’on se retrouve perdu car celui-là regroupe plusieurs livres, une bible peut-être mais alors une bible de la terreur. J’ai eu en face de moi un maître du réalisme qui m’expliquait gentiment comment écrire une histoire sans se mettre des barrières, le vent de liberté souffle sur toutes les pages, l’écrivain ne se réfrène pas, il écrit sauvagement, sans tabou, une graine d’ironie qu’il place dans ses personnages (ô Henry !)
On foule nos pas dans la psyché humaine, de celle qui n’a pas de filtre, oiseau suprême de liberté mais aussi d’effroi, car l’enfant apprend dès sa naissance à se contrôler : le ça vient se juxtaposer sur le moi. Grippe sous est-il démon ou l’incarnation de l’humanité dans tout ce qu’il y a de plus affreux ? Il ne donnera pas de réponse précise et je me suis amusée à développer des théories qui s’entremêlent maintenant dans mon carnet, alliées de citations émouvantes, réelles, universelles. Il joue sur les différents âges, l’enfance s’esquisse en éloge par la plume aiguisée, une douceur poétique s’incruste simplement dans les paroles, les pensées, les gestes, un contraste énorme quand on assiste bouche béate, lèvres frissonnantes aux massacres que commet avec plaisir l’orque clown. Lire ce livre c’est posséder sa part d’enfant que l’on a perdu, enfermé dans nos expériences d’adulte, c’est sourire aux croyances absurdes que le petit garde en son sein, il vit à travers ces légendes, ces passions, l’enfant vibre, émerveillé par le monde qui l’entoure, sans filtre, sans laisse, il court au danger, apprend ; le lecteur retrouve ses yeux agrandis par les merveilles et les ignobles de l’existence. Tout est développé, rien n’est abandonné, entre les relations parents enfants ou encore les actions des habitants, tout trouve un sens. Impressionnant. Quand j’entends dire que Stephen King écrit des livres de plage, bien vous fasse, lisez à la plage, je pense que les émotions seront toujours aussi percutantes. J’y ai aperçu un zeste de Nietzsche dans la seconde hypothèse que j’ai façonnée, les références bibliques me fascinent, Ca m’offre alors la possibilité de réfléchir de songer. Grippe-Sous comme Le Joker sont des entités qui hanteront les rêves, cauchemardesque de l’indécence ; et Dieu s’installe tranquillement, La tortue. J’y vois une moquerie cinglante et ça ne m’étonnerait pas le moins du monde que King soit athée ou agnostique. Il construit ses raisonnements à la manière de Sartre ou de Camus, ces derniers écrivant du théâtre pour mettre en lumière leur philosophie. On croirait que King écrit juste pour le loisir, au contraire, celui qui tient en sa main un de ses ouvrages verra, ébloui, qu’il appartient à ces génies observateurs qui peint sur des pages et des pages des psychologies tout à fait différentes, qui ne s’embrouille pas et respecte religieusement ses personnages qui semblent vivants. Plusieurs fois j’ai cru que je pourrai les appeler après ma lecture.
Avant l'univers, il n'y avait eu que deux choses. l'une était Ca même et l'autre la tortue. La Tortue était une antique vieille chose stupide qui ne sortait jamais de sa carapace. Ca pensait que la Tortue était peut-être morte, morte depuis le dernier milliard d'années, à peu près. Même si elle ne l'était pas, ce n'en était pas moins une vieille chose stupide, et même si la Tortue avait vomi l'univers au grand complet, cela ne changeait rien.
Lire ce livre avec une personne proche, une amie peut se révéler efficace voir même amusant, intéressant de constater, de comparer les passages qui nous ont le plus marqués. Maned Wolf a été traumatisé par les sangsues, j’ai plus été touchée par Henry et sa folie (Grippe Sous ne m’a pas fait peur, j’étais comme un psy face à cette monstrueuse créature). La société américaine dépecée émet un rire grotesque, le racisme, la vulgarité, les névroses, les gens qui s’assemblent, ne voient rien, n’aident pas, on s’engouffre parfois dans le néant de la gentillesse, règne l’égoïsme et l’égocentrisme montrés fidèlement, réellement. Entre l’ami, dans la glauquerie et l’enfer ingénieusement préparé, Le roi te tend un plateau de vermine et de tendresse mélangées que tu aimeras, la peur se gaussera dans tes veines tandis que tu tourneras les pages passionnément, jusqu’au final, le grand boom de la fin ! Tu reposeras le chef d’œuvre avec peut-être, une gueule de bois littéraire, c’est le risque quand il s’agit d’une montagne d’intelligence.
2 commentaires
C'est fou, j'ai lu presque tous les Stephen King mais je n'ai jamais osé me plonger dans cet énorme classique ! Ca y est c'est décidé, je me lance cet été !
RépondreSupprimerC'est que pour un peu tu me donnerais envie de le relire:-) D'accord avec toi, il y a tellement plus chez Stephen King que des histoires qui font peur! Et particulièrement dans ce roman que je trouve très profond derrière le côté gore. Perso j'ai été horrifiée par l'incendie du club...
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