La couverture soyeuse aux étoiles nébuleuses, à ce corps noyé sous la volupté m’a attiré ; ce livre je l’attendais, ayant lu quelques articles qui en parlait. Friande de thriller, j’ai été surprise de la qualité littéraire, elle a des choses à dire l’autrice, des sujets à exprimer, surtout une dissection froide, austère, à réaliser. Celle d’une famille où les parents ont gâché leur vie, puis les enfants pris dans les pattes velues de ces derniers, une enfant, celle du milieu, adolescente nubile, se cherchant, cette jeune fille en fleur, sera morte une nuit où les flots l’emporteront. Mais pourquoi un drame si grave pour arriver à se remettre en question quand il serait plus facile de s’écouter, de s’intéresser à la progéniture engendrée ? Cruelle, meurtrier même, le roman analyse l’inévitable en intra-muros, chaque famille possède ses secrets, ses faiblesses, ses failles. Aux parents de lire cette oppression pour permettre à leur môme de mieux grandir.
Le style, visuel projette le lecteur dans la troublante ambiance, un grain de nostalgie, un élan de tristesse, des explications qui s’emboitent à chaque moment, chaque flash-back ; le passé et le présent intimement liés fabriquent des acrobaties arabesques. Chaque membre de cette famille pose leur voix, leur histoire, leur passé, leur doute, leur faiblesses, leur névrose surtout. On se construit grâce aux souvenirs, aux sensations, aux sentiments, quelques fois on détruit sans le vouloir. La découverte macabre de leur fille agonisante sert de leçon, de remise en question. Moment douloureux, il n’est pas question d’assassin ici, ou alors si mais dans la sphère privée. Ça coule, tendrement, dynamique abject quand chaque petit détail prend son importance dans la ronde d’un amour malsain, d’une affection tournée autour des parents seulement. On plonge dans l’abysse d’un suicide, médecin lecteur qui décortiquera les prouesses parentales, à détester ceux-là mais non à juger. La plume se renforce alors, simple, épurée, elle va à l’essentiel, un but à atteindre, un point A jusqu’au point B pour le grand final, la reconstruction peut-être. Dans certains romans il vaut mieux ne pas être abstrait, la poésie n’ayant pas sa place.
L’abandon est l’un des maux, le commencement de ce mal être tonitruant chez Lydia, la mère voulant poursuivre ses études, à cause de ses enfants elle ne peut pas, décide de partir. Et les deux gamins dans l’histoire ? Et le père ? Non madame part car elle a désir de carrière. La petite se fixe la promesse de toujours obéir, de toujours dire oui si maman revient. Tristesse. Et maman revient en effet, retrouvée une nouvelle fois enceinte. Ironie. C’est alors que le conte commence, que Lydia devient l’objet et non plus un individu, l’objet où se projettent les souhaits de maman et de papa. La petite fille devient adolescente mais vide, un creux dans le ventre, une étincelle de néant dans le regard, dans l’attitude. Elle apprend à faire semblant, automate délicate sur le bord d’une falaise coupante, clouée de brillantes aiguilles de douleur. Les rêves des grands se répercutent sur les petits, c’est la dure loi de la jungle ou de cette sphère que l’on nomme famille. Les enfants n’ont pas le choix, possessions des géniteurs, souvent ils oublient que ces petits êtres sont doués d’intelligence, de sagesse, d’émotions, qu’un rien devient tempête. J’ai été émue, me barricadant dans mes propres souvenirs de ma non enfance. Les horreurs s’enroulent dans ces maisons aux vitres cachées. On n’en parle jamais, elle l’a fait : la maltraitance psychologique prend place sur le trône de la maladresse. De par les sujets qu’il arbore, le roman se métamorphose, à l’origine, un récit de loisir maintenant un texte émouvant critiquant la société américaine et ses familles « parfaites ».
Je dis thriller, je pense à action, aux rebondissements, aux révélations. De suspens on n’ose croire, on sait déjà, mais de ces détails on ne sait rien. Ici c’est le glas de la révolte, les ressentis émus de cette fratrie renforce le sentiment de perte, encore pire qu’une perte normale, elle semble le reflet d’un macrocosme, d’une société où le rêve s’élance, fort, malsain. Où les parents ont pouvoir de vie ou de mort. Ils ne le font pas exprès, ils tiennent à leur gamine. A leur façon. La troisième d’ailleurs, dort dans le grenier, fée manquant d’amour. C’est ce problème de la reproduction, de l’éducation, de ces petites choses aux dialogues meurtriers, à la pression que l’on met sur les épaules d’une âme en pleine construction, les fondations s’étiolent jusqu’à la pensée foudroyante d’une asphyxie et le saut de l’ange du haut de colline. Ce mythe américain, l’autrice le démonte, petit à petit, méticuleusement, patiemment, divinement, bulles noirâtres et discrètes. En moi, la flamme de la colère, le torrent de remerciement pour celle qui ose dire, déployer une intrigue sur l’intra-muros, sur ces choses qu’on ne dit pas mais que l’on ressent, qui détruise une jeunesse par les caprices de certains. Si le père est malheureux c’est à cause de la discrimination raciale, si la mère est malheureuse c’est à cause de sa condition de femme, si les enfants songent à partir c’est à cause de l’égoïsme immonde des parents. Bouleversée par un livre que je pensais inoffensif j’ai eu tords. Bien construit, vecteur de colère et de chamboulement, c’est un trésor d’obscurité.
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