Longtemps j’ai cherché à fuir l’écriture de cet article,
apparemment, La Sagesse dans le sang semble un titre prometteur, durement
poétique quand ces quatre mots valsent et annoncent une richesse spéciale,
complexe. L’écrivain se moque certes, adroite dans son style, les mots
claquent. Longtemps j’ai cherché les termes, les pensées, les critiques, les
émotions qui m’engloutissaient à la lecture de cette histoire atypique,
longtemps. Me voici dans ma chambre pour la reprise de mon blog après une
semaine en baiser éclatant, en doux rêve et ce sourire au creux de mes lippes.
Je me suis arrêtée, j’ai mis sur pause quelques secondes pour recharger ce
besoin de partager, de parler, d’analyser, de décortiquer. Or, la Sagesse
n’inaugure pas le bonheur, quelques éclats d’ironie subtile à faire rire aux
larmes, une nuance de malheur perchée dans les propos de l’autrice acerbe. Deux
personnes, des évangélistes nous sont présentés dans la splendeur misérable de
leur fanatisme, en cela le livre est intéressant, les phrases claquent, cognent
le lecteur sans jugement, sans façon, juste brûlante de moquerie, une manière
de s’énerver discrètement contre ces belles gens marchant au zénith de la
manipulation.
La force d'une prédication est dans le cou, dans la langue, dans le bras. Son grand père avait parcouru trois comtés dans une ford. Le dernier samedi de chaque mois, il arrivait à Eastrod comme s'il était temps d'un venir sauver tout le monde de l'enfer et, à peine avait-il ouvert la portière qu'il gueulait déjà.
Il s’élabore dans une succession d’images tourbillon, la chaleur s’enflamme
au cœur, l’incompréhension aussi quand on avance, que l’on suit difficilement
le parcours chaotique de ces deux énergumènes. Où nous emmène-t-elle se
demande-t-on, se demandera-t-on tout le long du récit. Un périple dans le sud
dans les Etats Unis, en spectatrice curieuse, je suivais le mouvement des pieds
de ces personnages grotesques dont j’ai oublié le nom car leur identité importe
peu en réalité. Les événements défilent dans la brume, un mirage de bravoure,
une pensée alors, sauvage, malaisante, étoile s’échappant de ma paume pour
revenir me hanter : la force de ce roman se trouve dans l’essence même des
deux protagonistes. L’un s’élance dans sa croyance funèbre, sûr, certain de sa
foi, l’autre également. Deux sentiers s’esquissent pourtant ils fabriquent leur
même parcours d’une manière différente. Dans leur folie je n’ai pas compris,
leur caboche percée assument une vision du monde outragée par leur besoin d’argent
ou d’amour, de reconnaissance et ce grand besoin de s’exclamer, de prêcher, d’hériter
pour le premier de la voix de son grand père prêcheur saltimbanque avant lui. L’histoire
ne se coud pas dans un monument de clarté, elle se découd justement formant des
arabesques d’un au-delà meurtrier. Sous les couleurs vives, chatoyantes se
dessine le terrier d’une Alice droguée aux paroles fantomatiques, dangereuses
de ces deux êtres, symboles de guerre pour Flannery O’Connor.
Plus tard, il vit Jésus aller d'un arbre à l'autre au fond de sa pensée, silhouette loqueteuse et sauvage qui, d'un signe, lui disait de faire demi-tour, de s'enfoncer dans les ténèbres où il ne saurait pas exactement où il mettait les pieds, où il pourrait marcher sur l'eau sans s'en douter et, s'en rendant compte soudain, y disparaitre et s'y noyer.
La plume
se percute dans une simplicité assassine, elle s’empare des mots pour les faire
valdinguer dans une force émotive, toujours le mot juste frappe à la porte de l’esprit
tandis qu’elle s’occupe de ses personnages, décrit macabre et senteur
oppressante. L’on sent le plaisir catharsis à l’écriture de ce roman, je l’imaginais
derrière sa feuille blanche, remplissant la blancheur éclatante à l’encre
charbon pour donner la mesure de son cœur en colère contre tous ces sieurs
venant déranger la tranquillité de sa vie, à dire n’importe quoi, à se
permettre des mensonges éhontés dans le but de tendre la paume en quête de
monnaie. O’Connor aimait la religion chrétienne, fervente croyante dans l’humilité
d’un cœur simple, cet ouvrage est le passage d’un trop plein, alors, à son
tour, elle dénigre les perversions de la religion. Sans pitié, elle ose montrer
du doigt les pires, les terreurs, l’inculte que ces prêcheurs possèdent. Elle force
le trait de caractère pour donner l’allure d’une fresque à la Bosh, des personnages
défigurés par la vanité. Ils sont vivants mais abstraits car la folie pénètre
le sang, cette fausse sagesse. Pour combler mon rire franc et sincère, cet
humour particulièrement noir, l’autrice m’a offert plusieurs moments de fou
rire dans les événements les plus sombres, les plus sentencieux, il semble qu’elle
ait voulu aller jusqu’au bout de sa critique non sans me déplaire, elle a
ravagé mes convictions et mon air froid de lectrice capricieuse, ivre de
compréhension. Il ne faut pas comprendre ce livre, il faut entrer dans la
tanière sans s’essuyer les godasses avant d’entrer, assister à lenteur
infernale jusqu’à l’apothéose finale.