Il adore peindre. Voilà ce que ces mois chez Chardin lui apprennent avec certitude : être en train de peindre, c'est vivre vraiment. Peindre c'est jouir le plus fort du monde.
J’observais les livres de Sophie Chauveau comme un animal égaré, hésitant à me procurer ces pages de délices, quelque chose me disait qu’il y avait une pépite et pourtant je doutais. Pour, un jour, m’engouffrer dans la librairie, pécher le livre à la volée et le dévorer en quelques jours. Fragonard étant dans mon programme d’histoire de l’art cette année, m’étant rassasiée de ses peintures badines, ô combien merveilleuse, j’ai pris cette vaste excuse pour lire le roman à son éloge. Bien m’en coûte, malgré quelques défauts, quelques incompréhensions, le rendez-vous offert entre moi et ce personnage fut exquis, plante sauvage répandant son bonheur aux branches d’une poésie subtile. Il est des histoires de vie qui renseignent, des périples qui émeuvent, des leçons à recevoir, malgré des passages à vide où le style allait trop vite j’ai compris, j’ai volé cette essence de passion qui s’infiltrait entre les pages. Car il s’agit d’un hommage, d’une ode à la peinture, à la création, à cette liberté d’inventer de quelques manières que ce soit.

Des répétitions gâchent le parcours, chapitres s’étalent, se corrompent les mêmes discours comme si l’autrice ne savait plus comment s’exprimer. Pourtant le style ne change pas, il n’y a pas de manque d’équilibre, à chaque chapitre la joliesse de l’instant, les paysages ineffables, les pensées des personnages attachants. Elle a fait des recherches et m’a légué ce plaisir de me renseigner moi-même, google m’embrassant en proposant textes et peintures de Marguerite Gérard, de Hubert Robert, Saint Non, Chardin, Greuze. Ces peintres ont changé la France, c’est un témoignage, une avancée de l’art qu’elle décrit patiemment, tout au long des pages. Fragonard, la fleur centrale danse autour de ces autres figures ayant leur part de richesse. Puis… la révolution. Et la terreur. Ce sang gouttant sur le macadam de la place de la guillotine, près du Louvres hébergeant les artistes. Napoléon sauvera le peuple, offrira une ère de paix et de tranquillité. Tandis que les artistes seront déchus de leur habitat (vivre au Louvres quel chance !) la France se relèvera. De l’art c’est une époque qui est transcrite, fidèlement peut-être, bien que je doute de la partialité de madame.
C’est un roman, non pas une biographie fidèle du peintre, et grâce à cela, une imagination se développant, un langage, une conversation. Personnage m’ayant marqué, celui de Marguerite, décrite douce, chaleureuse enfant, puis opiniâtre, opportuniste, sangsue bouffant la vieillesse de Frago. Un caractère que je n’aime pas, mais elle a ses faiblesses, son histoire troublante. Sa sœur, l’épouse de monsieur Fragonard aussi possède sa force, remarquable, elle est mère dans sa splendeur tourmentée, femme dans son manque de liberté, miniaturiste de talent, elle a supporté les frasques de son cher et tendre sans jamais lui tourner le dos, toujours en l’apaisant, en consolant, en chérissant cet amour qu’elle ressentait, pardonnant et écoutant ce terrible qui allait voir ailleurs sans ressentir une trace de remord. Son sens du sacrifice impressionnant m’a ouvert les agates et j’ai perçu un autre monde, une autre pensée de l’amour.
Il dessine un lit. Le lit est la base, le fond de son imaginaire. Il peint donc un lit encore vide. Un lit toujours fourmille d'idées . Si on y entasse pèle-mêle animaux et enfants et qu'on fait jouer le tout ensemble, ça donne une de ces scènes familiales au bonheur répandu. Si on froisse les draps, qu'on écrase les oreilles, on s'imagine que la scène qui vient de s'y dérouler était torride. Très froissé mais toujours vide, les lits racontent à l'imaginaire des amours comblés. Placez une pomme rouge sur la table de chevet et c'est une allégorie quasi biblique, presqu'un tableau d'histoire. Ajoutez-y des amoureux enlacés et le lit remplit sa fonction de berceau des amours et d'enfants à naître.
Je garderai le souvenir de détails, car le détail fait la différence, alors je découvre encore une chose en écrivant cet article, que, dans la peinture, le détail fait la force. La pomme sur la table de chevet à demie croquée dans cette exquise composition libertine. Le verrou semble un songe d’écarlate, de fascination pour les historiens de l’art. Grâce à Sophie Chauveau l’art est rendu accessible, par ses phrases, son style, l’histoire se grave aux fils d’or et, impossible de n’éprouver aucun choc esthétique à la vue d’une toile. Fragonard étant l’un de mes peintres préférés j’ai adoré ce roman malgré ses défauts, j’ai apprécié l’hommage rendu et la manière dont elle rend vie et vibrations à ces personnages historiques tous ayant vécu dans un temps lointain. C’est un livre pour les curieux de l’art, ceux qui hésitent, ceux tremblent de ne rien comprendre en observant les œuvres dans les musées. Ici, l’invitation au voyage tend la main à son prochain, le guide doucement dans la passion d’être un artiste.
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