L'amie prodigieuse

By Vagabonde. - samedi, mai 13, 2017


Seule Lila me manquait, Lila qui pourtant ne répondait pas à mes lettres. J'avais peur qu'il ne lui arrive quelque chose, en bien ou en mal, sans que je sois là. C'était une vieille crainte, une crainte qui ne m'était jamais passée : la peur qu'en ratant des fragments de sa vie, la mienne ne perde en intensité et en importance.
Elles étaient deux, enfants volages dans ce quartier de Naples ; elles étaient deux, gamines hurlant à la liberté, criant à l’amitié. L’une semblait méchante, l’autre passive d’une vie qui ne lui appartenait pas ; l’une était chétive, obéissante, l’autre espiègle, rebelle cachant sa douleur dans sa douance enviée, convoitée. L’une parvint aux études rares à cette époque où l’Italie, l’Europe se relevait des entrailles de la seconde guerre mondiale ; l’autre fut réprimée, muselée dans sa condition de femme, elle ne parviendra pas à poursuivre au-delà de ses années de primaires. Quel gâchis ! Et, lectrice assoiffée, j’étais curieuse de ce roman que l’on disait tentaculaire, spectaculaire, sans préjugés mais sans attentes également je fonçais tête baissée dans ces phrases naturelles, dans ce satin de soleil. L’amie prodigieuse annonce et tient ses promesses d’une aventure que l’on n’oubliera pas, dans la veine de Mémoire d’une Jeune fille rangée de Simone de Beauvoir, Elena Ferrante signe de sa plume humble, puissante, satinée une merveilleuse histoire de vie, un parcours d’obstacles, des joies, des peines, harmonie grandiose.

Comme chaque être humain l’on nait quelque part, un corps pousse les limites de l’au-delà et voilà cette exquise petite fille qui deviendra femme, Lila et Elena apparaissent à Naples, cette ville lumière où règne la poussière, où les éclats de rire des gosses des rues s’entremêlent aux rumeurs, aux commérages des adultes. Là-bas il y a des immeubles pauvres, des quartiers misérables éloignés de ceux riches, croulant sous l’opulence. On a de la chance ou on ne l’a pas. Naples ce n’est pas qu’une ville, c’est un personnage qui chatoie d’existence, elle vit par ces millions de pas que foulent ses enfants italiens, elle respire par les actions, les gestes, les vérités, elle s’immole dans les croyances, Naples c’est la mère de ces deux fillettes, ses rues sont ses artères entraînantes, elle garde en son sein les légendes de ses petits bourgeonnant. L’école au lointain semble une promesse d’avenir ravagé par ces familles pauvres qui ne rêvent que profit et argent, n’ayant pas compris la valeur de l’approfondissement des connaissances pour un avenir meilleur. Parce que ces familles s’enferment dans cette pauvreté, ne savent rien d’autre que l’effort produit par leur silhouette, par leur fatigue. Naples c’est la magie où les habitantes ne forment qu’un, se joignent, inspirent dans une mélodie de haine et d’amour. La violence achève les joies, dans cette banlieue, les coups d’arme, les meurtres, les viols ne sont pas uniques, ils semblent le fardeau habituel des âmes passagères.
La ville héberge deux esprits complémentaires, deux petites nymphes partageant un amour incommensurable, une amitié où les mots même ne parviennent pas à exprimer la force de ces sentiments parfois nébuleux, parfois sauvages, toujours sublimes. Ames sœurs les définit bien, deux âmes jumelles qui se croiseront pour ne plus jamais se quitter, les mains se lient, s’ensorcèlent, les regards se meurent de jalousie, les paroles s’écarquillent de tendresse. Je me souviens de la scène du bar où elles se retrouvent pour discuter, et Lila, pleine de reconnaissance, de sagesse, reconnait la valeur éternelle de l’amitié qu’elle éprouve pour elle. C’est touchant, émouvant, tout du long ! Le style narratif, ingénieux, intelligent, permet l’immersion d’un seul regard, Elena rend hommage à sa vieille coquine de Lila, soixante-deux années d’amitié rougissante, et elle part de loin, de sa plume sillonne les souvenirs à la recherche d’émotions vibrantes. La nostalgie pénètre le cœur, la tristesse, la révolte mais il y a ce grain de lumière à chaque mot, à chaque phrase, à chaque couplet de cette maigre vie construite de labeur, d’injustice, de colères, de convoitise. Car ces deux-là bien qu’elles se relient s’éloignent aussi, on pourrait croire qu’elles ne forment qu’une seule entité, pourtant elles auront le loisir d’observer leur sentier de fatalité se couper. Quand Lila sera rejetée au bas fond de sa condition de femme inférieur, mariage et procréation lui étant destiné, Elena aura plus de chance, elle, aura le plaisir de continuer ses études. Alors j’ai gueulé contre le père humain de Lila, que je ne pouvais pas non plus juger. L’autrice offre une baignade noyade, naturel son talent qui pourfend le cœur du lecteur, l’emmène en voyage jusqu’à la dernière page, la lie bue jusqu’à la moelle. Le premier tome relate les dents de lait, la puberté, les poils qui poussent, les préoccupations de cette jeunesse tout feu tout flamme, pauvre au précipice de l’orgueil quand ces garçons obtiennent un filon pour l’argent coulant sur leur phalange.
Il n'existe aucun geste, aucune parole ni soupir qui ne contiennent la somme de tous les crimes qu'ont commis et que continuent à commettre les êtres humains.
On pose les bases d’une saga d’apprentissage (toute la vie est un apprentissage et ça s’arrête jusqu’à la mort) qui sera culte, éternelle peut-être, j’espère qu’elle pourra traverser les siècles, entrer dans la postérité ; car, en plus de me donner goût et intérêt à cette mélopée italienne, j’ai l’ivresse des recherches, des connaissances sur ce pays. J’ai senti les rayons chaleureux, j’ai entendu les bruits de voix, j’ai assisté aux bagarres de coqs (ah les frères veillant sur les cadettes) ; j’ai appris que la famille en Italie et surtout les filles étaient sacrées, perles à protéger. En écrivant cet article, je me rends compte qu’il ne lui rend pas hommage à ce roman qui m’a bercé pendant quelques jours, impossible de le lâcher, sans m’en rendre compte j’étais exposée dans le climat de la méditerranée, spectatrice saoule et un peu jalouse aussi d’assister à cette si belle histoire d’amitié. La saveur romantique mais ancrée totalement dans le réel valse encore dans mon myocarde passionné. Peut-être aurais-je aimé l’écrire moi-même ce roman, sûrement car ce thème fut une rencontre époustouflante, j’ai retrouvé des pensées, comme si l’écrivaine était rentrée dans ma tête pour absorber ces transports amicaux et en peindre une fresque où se mêle tous les sentiments que l’être humain peut ressenti

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7 commentaires

  1. Il est dans ma PAL, mais j'attends que le 3e opus sorte en poche avant d'entamer la trilogie... de plus, je pars à Naples à la fin du mois, ma future lecture sera l'occasion de replonger dans l'atmosphère de la ville !

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    1. J'aurai du faire comme toi parce que j'en suis à la fin du second tome que j'ai dévoré en même pas trois jours... Et dieu comme il est bien, comme il est fort ! Je vais souffrir en attendant la sortie du tome 3 en poche mais je me dis que c'est une bonne souffrance parce que ça décuplera mon bonheur de l'avoir entre les mains. Han j'espère que tu pourras prendre des photos et nous écrire un article !

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  2. Je n'ose pas lire ta critique, j'ai tellement envie de lire ce livre mais je n'ose pas m'y mettre tant que le dernier tome n'est pas sorti !
    En tout cas ça me rassure de voir que tu as eu un coup de cœur, c'est un peu angoissant les romans à succès, il y a toujours cette peur d'être déçue.
    J'hésite à les lire en italien, comment est la traduction française ? Le style de base semble compliqué ?

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    1. Tu as raison d'attendre le quatrième tome, déjà que le troisième tome n'est pas sorti en poche et je m'en ronge les ongles car dans le second c'est bon on aborde de manière très ingénieuse la condition des femmes et donc de leur indépendance et de leur compte en banque qui n'existait pas. Après ce livre me pousse à faire des recherches pour m'immerger vraiment complètement dans l'histoire.
      C'est vrai, j'ai aussi eu cette peur mais heureusement que je suis passée outre parce que ce livre aura marqué ma vie je pense. C'est une saga que je relirai avec plaisir.
      Non le style n'est pas très compliqué, il est même très simple, très fluide.

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  3. Je viens de commencer le 3è. J'étais sceptique au début mais la qualité va crescendo, et finalement, j'adore!!

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    1. Oui c'est vrai que la qualité va crescendo mais il y avait déjà une grande qualité dans le premier tome j'ai trouvé. En tout cas il m'a tout de suite happé sans que je m'en rende compte.

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  4. Je suis en train de le lire. Je lirai ta critique par la suite.

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